Qu’il s’agisse de chanter l’amour ou de célébrer la spiritualité, la voix puissante de Houria Aïchi s’élève et porte avec elle un patrimoine chaoui vibrant au delà du massif de l’Aurès.
L’ambassadrice du chant chaoui Houria Aïchi a un parcours des plus exceptionnels. Née à Batna au cœur de la région de l’Aurès, elle entreprend ses études secondaires à Constantine puis fréquente l’université d’Alger. Elle achève sa formation supérieure et enseigne l’anthropologie et la sociologie à Paris, et décide d’utiliser son savoir acquis afin de collecter et de raviver les chants traditionnels de sa contrée d’origine.
Comme je suis anthropologue et sociologue, je procède comme un ethnologue, je recherche et collectionne les sources.
Elle revisite depuis 1986 – année de sa première apparition sur scène – le répertoire algérien, qu’il s’agisse d’explorer les registres sacrés voire mystiques ou profanes, de chanter l’amour ou de vanter les louanges des cavaliers.
« Cette passion du chant est un héritage familial dont je suis la 3e génération. En fait, toute petite, j’accompagnais souvent ma grand-mère qui était une chanteuse itinérante très appréciée, lorsqu’elle allait chanter pour des évènements heureux, et donc, c’est à ses côtés et à son contact qu’est née ma passion pour la musique. Les Aurès étant ma région de naissance, il était donc normal que je m’en inspire. »
C’est aussi bien en tamazight ou derija que Houria Aïchi mobilise sa voix puissante, qu’elle accompagne de sons d’instruments traditionnels à l’instar de la gasba, du ney, du bendir, de l’oud ou encore du guembri gnaoui. Celle qui a produit de nombreux albums dédiés à la culture algérienne dont Les cavaliers de l’Aurès, Chants sacrés de l’Algérie, Khalwa, et Chants de l’Aurès, a rendu hommage dans son album Renayate aux chanteuses.
Enregistré avec Mohammed Abdennour (mandole et oud), Smal Benhouhou (piano), Amar Chaoui (percussions) et Ali Bensadoun (ney et gasba), l’album a la particularité non seulement de rendre hommage aux voix féminines d’Algérie à travers onze chansons, mais aussi d’agir comme cartographie de l’univers musical algérien.
En effet, c’est l’occasion pour Houria Aïchi de revisiter et réinterpréter les morceaux phares d’artistes en provenance de diverses régions du pays et qui ont marqué des périodes distinctes dans des registres variés : Fadila Dziria et Meriem Fekkaï pour le hawzi algérois, le raï oranais avec Cheïkha Rimitti et Fadela, la musique chaouie avec Beggar Hadda et Zoulikha, les chants kabyles de Djura et Chérifa, le diwan gnawi avec Aïcha Lebgaa ou encore le asri avec Saloua.
« J’ai une idée tous les quatre ans. (…) Mon rapport au travail a été différent. Sur le répertoire de l’Aurès, j’ai un sentiment d’urgence, quelque chose de vital, qui est lié à mon identité. Là, j’ai été guidée par mes souvenirs de public, des souvenirs d’enfance et de jeunesse, mais aussi par la curiosité. »
Ce passage de musique traditionnelle chaouie vers un hommage aux femmes du pays à travers différents genres musicaux reflète la trajectoire même de l’artiste, qui est bercée durant son enfance par les chansons de la région, et découvre lors de ses études secondaires à Constantine puis durant ses études universitaires à Alger le malouf et les répertoires issus d’autres régions de l’Algérie.

Album : Chants mystiques d’Algérie – L’illumination du Lézard n°1 par l’artiste algérien Denis Martinez.
Plus récemment, dans Chants mystiques d’Algérie sorti en décembre 2017, le voyage musical de Houria Aïchi aux quatre coins du pays prend la forme d’une exploration des chants spirituels qui rythment les cérémonies incluant mariages et veillées funèbres. Marqué par une instrumentalisation épurée, l’album puise dans le patrimoine algérien soufi et aborde la question du sacré dans sa pratique quotidienne.
L’ambassadrice de l’Aurès collabore également tout au long de sa carrière avec d’autres artistes, dont le cinéaste italien Bernardo Bertulucci pour la bande sonore d’Un thé au Sahara, et le musicien japonais Ryuichi Sakamoto pour l’album Heartbeat.
« J’étais ravie qu’un grand cinéaste comme Bertolucci veuille intégrer dans un film occidental à grand budget des chants des paysans et des montagnards de l’Aurès. Ce qui me ravissait dans ce projet, c’était la possibilité que cela représentait de faire entrer cette musique enracinée dans le terroir aurésien, dans le répertoire des sons du monde. C’est ma démarche encore aujourd’hui, donner un écho international aux chants oubliés de ma région natale. C’est l’esprit qui m’anime lorsque je travaille avec des compositeurs de musique contemporaine tels que Ryuichi Sakamoto ou Jean-Marc Padovani. »
Qu’il s’agisse de chanter l’amour ou de célébrer la spiritualité, la voix puissante de Houria Aïchi s’élève et porte avec elle un patrimoine chaoui vibrant au delà du massif de l’Aurès.
Photo : Houria Aïchi – Rahmani Nadjib