Première membre de l’Académie française originaire du Maghreb, Assia Djebar peint dans ses oeuvres un tableau complexe de la condition féminine en Algérie.
Cet article fait partie de notre dossier Trois femmes, trois langues, trois récits sur la condition féminine.
Première immortelle (membre de l’Académie française) originaire du Maghreb, Assia Djebar a passé son enfance à Cherchell puis à Blida. Celle qui figure parmi les écrivains les plus populaires d’Afrique du Nord, est la première femme algérienne acceptée à l’École normale supérieure à Paris et publie à l’âge de 21 ans son premier roman, La soif.
Assia Djebar mêle dans ses œuvres les histoires personnelles des femmes algériennes à l’histoire du pays. Son écriture présente la particularité d’avoir peint dès ses débuts un tableau complexe de la femme algérienne et de la condition féminine. Ici, le choix de ce qu’elle appelle la « langue adverse » française est une conséquence de son éducation lors de la colonisation et exprime chez l’écrivaine un état de belligérance qui reflète des dynamiques de pouvoir où le genre a une place centrale.
« Écrire en langue étrangère, hors de I’ oralité des deux langues de ma région natale – le berbère des montagnes du Dahra et I’ arabe de ma ville -, écrire m’a ramenée aux cris des femmes sourdement révoltées de mon enfance, à ma seule origine. [… ] Écrire ne tue pas la voix, mais la réveille, surtout pour ressusciter tant de sœurs disparues. »
Assia Djebar, L’amour, la fantasia, p. 229.
Ainsi, dans Vaste est la prison, écrit au début des années 1990, Assia Djebar revient sur les crimes de la colonisation française en Algérie et leurs conséquences, tout en combattant le poids du patriarcat contemporain porté à son apogée dans un contexte de décennie noire. Tout au long de ses œuvres, l’écrivaine raconte la condition des femmes dans le pays avec nuances et prend position en faveur de leur émancipation, notamment via l’éducation.
Dire, sans grandiloquence, que mon écriture en français est ensemencée par les sons et les rythmes de l’origine, comme les musiques que Bela Bartok est venu écouter en 1913, jusque dans les Aurès. Oui, ma langue d écriture s’ouvre au diffèrent, s’allège des interdits paroxystiques, s’étire pour ne paraitre qu’une simple natte au dehors, parfilée de silence et de plénitude.
Mon français s’est ainsi illuminé depuis vingt ans déjà, de la nuit des femmes du Mont Chenoua. Il me semble que celles-ci dansent encore pour moi dans des grottes secrètes, tandis que la Méditerranée étincelle à leurs pieds. Elles me saluent, me protègent. J’emporte outre Atlantique leurs sourires, images de « shefa’ », c’est-à-dire de guérison. Car mon français, doublé par le velours, mais aussi les épines des langues autrefois occultées, cicatrisera peut-être mes blessures mémorielles.
Discours d’Assia Djebar à l’Académie française
Assia Djebar est l’auteure d’une quinzaine de romans, de nouvelles et de pièces de théâtre traduits dans 23 langues. Elle est aussi l’auteure de deux films, dont La nouba des femmes du Mont Chenoua, qui a remporté le Prix FIPRESCI de la Mostra de Venise en 1979.
Pour le 81ème anniversaire de la naissance de l’écrivaine, Google lui dédie un Doodle inspiré par le premier chapitre de son roman L’amour, la fantasia, où elle explore l’histoire de l’Algérie à travers ses expériences personnelles.
Photo : Assia Djebar – Studio Harcourt