Afin de rendre hommage et d’offrir un lieu de dernier repos à ceux et celles qui ont perdu leur vie en Méditerranée, l’artiste plasticien algérien Rachid Koraichi leur consacre un cimetière à Zarzis, ville portuaire au sud-est de la Tunisie, où de nombreuses traversées informelles ont connu une fin tragique.

Célèbre pour ses œuvres puisant dans les patrimoines artistique et spirituel locaux, Rachid Koraichi est originaire de Ain Beida dans la région des Hauts Plateaux. Il débute son apprentissage à l’École des beaux-arts d’Alger et rejoint en 1970 l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris.

Photo : Rachid Koraichi – Répliques

Son travail, qui se caractérise par un recours à la symbolique des chiffres, à la calligraphie, aux formes géométriques et au mysticisme soufi, lui a valu la décoration du Jameel Prize en 2011 du musée Victoria & Albert, dédié à l’art et au design contemporain inspiré par la tradition islamique.

Qu’il s’agisse de mobiliser l’art pour valoriser le pluralisme ou de rappeler l’importance d’un engagement écologique, l’approche de Rachid Koraichi est profondément engagée. C’est ainsi qu’il décide il y a quelques mois de mettre en place un cimetière nommé « Jardin d’Afrique », ayant pour objectif d’offrir une sépulture à celles et ceux qui ont perdu leur vie en Méditerranée et de servir de lieu de mémoire.

Photo : Rachid Koraichi – Les quatre saisons

C’est en constatant l’inaction de la communauté internationale et en prenant connaissance du traitement inapproprié de corps de migrants noyés que l’artiste se rend dans la ville de Zarzis. Il y achète ensuite un lot de terre de 2500 met débute le projet autofinancé mobilisant le savoir-faire d’artisans locaux.

Photo : Rachid Koraichi – Travaux du cimetière à Zarzis. Ils devraient s’achever au printemps 2020.

« Ce qui m’a également poussé à créer le « Jardin africain », c’est que nous, les Nord-Africains, avons tendance à tourner le dos à l’Afrique subsaharienne. Il est fondamentalement important de donner de l’importance à cette terre, qui est un grand continent de l’autre côté. »

Rachid Koraichi dans un entretien avec Hakim Bishara pour Hyperallergic

Le projet va inclure un cimetière non-confessionnel, un endroit où les corps peuvent être lavés avant leur enterrement, un monument et une chapelle pour tous les services religieux. Le projet va dédier aussi à chaque victime une pierre tombale avec un nom s’il est connu, la date de la mort, le code ADN de la personne ainsi que des détails supplémentaires comme le sexe et la tranche d’âge dans laquelle elle se situe.

 Aucun corps ne sera enterré sans qu’un échantillon ADN ne soit prélevé et nous informerons toutes les ambassades en Tunisie de l’existence de ces codes pour que quiconque tente de retracer un membre familial puisse venir et voir si l’ADN correspond à celui du membre recherché.

Photo : Rachid Koraichi – Les sept dormants, en hommage aux moines de Tibhirine

Bien les travaux du projet ne se terminent qu’au printemps prochain, le cimetière a déjà dû enterrer 56 corps au mois de juillet suite à la mort en Méditerranée de 90 migrants dont une femme enceinte et un enfant. Ce sont les autorités locales et le Croissant-Rouge qui ont sollicité l’assistance de l’artiste en raison de la raréfaction des espaces d’enterrement dans la ville.

Photo : Rachid Koraichi – Le jardin d’Orient

Le cimetière n’est pas le premier lieu de mémoire sur lequel Rachid Koraichi travaille. Ce dernier avait notamment en 2005 construit le « Jardin d’Orient » dans le Château Royal d’Amboise en Loire en hommage à l’Émir Abdelkader qui y était emprisonné avec sa famille et ses compagnons pendant plus de quatre années durant la moitié du XIXèmesiècle.

Photo : Rachid Koraichi – Une nation en exil, illustrant les poèmes de Mahmoud Darwich

La mise en place du « Jardin d’Afrique » est cependant intime en ce qu’elle puise aussi ses sources dans l’histoire personnelle douloureuse de l’artiste. Son frère Mohamed, âgé d’un an de plus que lui, avait en effet perdu la vie dans la Méditerranée en 1962. C’est alors avec empathie qu’il a observé la situation des victimes des traversées funestes.

Photo : Rachid Koraichi – Illustration du poème de Salah Stétié dédié à la Palestine

Malgré une baisse depuis 2015 des traversées informelles en direction de l’Europe, le voyage s’avère cependant de plus en plus dangereux. En effet, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, depuis le début de l’année 2019, une personne sur sept disparaît en Méditerranée, tandis que pour la même période en 2018, c’était une personne sur 17 et une personne sur 46 en 2017.

Ceci s’explique en grande partie par la réduction des moyens de sauvetage en mer, un état de fait qui s’est aggravé avec certaines récentes entraves posées sur les opérations de sauvetages ainsi qu’avec la détérioration des conditions de traitement des migrants transitant par la Libye, vers qui de nombreux États avaient transféré certaines responsabilités de sauvetage.

Plus qu’un cimetière, le projet « Jardin d’Afrique » est donc l’occasion de perpétuer la mémoire des vies perdues en Méditerranée à un moment où celles-ci font l’objet d’une déshumanisation constante. Une initiative humaniste qui résonne avec l’approche engagée de artiste et qui sensibilise les pays de la région à la tragédie qui se déroule au large de leurs côtes.

Photo : Rachid Koraichi – Les maîtres invisibles

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